Collectif Archives LGBTQI: « Nous n’accepterons pas un centre au rabais »

Collectif Archives LGBTQI: « Nous n’accepterons pas un centre au rabais »

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Le mois dernier, la ville de Paris a désigné officiellement le collectif Archives LGBTQI comme porteur du projet du centre d’archives LGBT de Paris. Lancé sous Bertrand Delanoë il y a 15 ans, le chantier peine à émerger. Mais cette fois-ci, le projet semble avancer, même si les militant.e.s expriment régulièrement leur frustration devant les lenteurs administratives et politiques. La ville de Paris promet un centre pour 2020, basé dans l’une des mairies d’arrondissement qui vont être abandonnés suite au regroupement des quatre premiers arrondissements de Paris (ci-dessus, la mairie du IVème). Mais il y a encore loin de la coupe aux lèvres. Les militant.e.s LGBT sont parvenus à se structurer. Les pouvoirs publics sauront-ils relever le défi?

Nous avons voulu faire le point avec Patrick Comoy, du collectif Archives LGBTQI+

HORNET: Le dossier du Centre d’archives LGBT de Paris est surnommé « le serpent de mer ». Cette fois-ci est-elle la bonne?

PATRICK COMOY: J’espère. Je crois qu’on a vraiment franchi un cap en juillet. Au collectif Archives LGBTQI%, on sait qu’on en a encore un, qui est dur, à franchir. Bruno Julliard le dit également: il y a une encore une étape importante et elle sera sans doute compliquée. L’étape suivante, c’est : quels moyens pour une Centre d’archives LGBTQI. Bien sûr, nous, nous voulons un Centre d’archives beau, accueillant, ouvert, visible, ambitieux dans ce qu’il fait et dans sa capacité de rassembler des archives et de les offrir aux publics de chercheurs, de militants, le grand public, tout le monde. Et ça, ça demande des moyens. Si on compare avec les villes qui ont ces centres d’archives, San Francisco, New York, Berlin, Amsterdam, Londres, les moyens sont assez importants. Aux Etats-Unis, les pouvoirs publics sont très généreux avec les structures comme les Centres LGBT ou les Centres d’archives. En France, on en est loin. Donc, nous savons que nous allons avoir une grosse discussion sur le sujet avec la ville, la région, l’Etat. Et avec nous-mêmes, pour voir ce que nous-mêmes sommes capables de mobiliser.

Je crois qu’on a avancé différemment des deux fois précédentes où il y a eu des tentatives sérieuses de faire le centre d’archives. Notre méthode a été différente parce que collective. Même si cela suppose un certain travail collectif, cela nous aide. Nous avons déjà franchi une étape difficile en nous rassemblant et en montrant à quel point nous étions légitimes sur ce projet.

Comment s’est construit le collectif, qui vient d’être désigné par la ville comme pilote du projet?

Le collectif rassemble aujourd’hui une douzaine d’associations et soixante-quinze personnes, toutes au même niveau. Nous nous réunissons toutes les deux semaines pour discuter, travailler sur ce projet des archives LGBTQI. Il s’est créé il y a presque un an, en septembre dernier, à l’initiative d’Act Up-Paris, qui a  lancé une réunion d’urgence. C’était le moment où on parlait beaucoup du films 120 bpm, où beaucoup réalisaient que les archives s’évaporent, disparaissent et que les gens aussi disparaissent, sans qu’on se soit donné la peine d’aller les entendre ou les écouter. Il y avait un sentiment d’urgence et de frustration de ne pas avoir de lieu d’archives.

A la réunion d’Act Up, il y avait une centaine de personnes, plein de gens qui n’avaient jamais milité nulle part et puis des gens qui avaient déjà milité, sur ce sujet ou un autre, et des associations. Et donc on s’est lancés, sur un travail qui est sur plein de dimensions à la fois: réfléchir au centre d’archives qu’on veut, la gouvernance, sa gestion. C’est un sujet que tout le monde a bien en tête. Comme on est dans le milieu associatif LGBT, les militant.e.s sont familiers de ce type de question.

On s’est aussi beaucoup posé cette question: qu’est ce que c’est les archives? Comment on veut les traiter? Et que voulons-nous en faire? On parle d’une philosophie d’archive vive. Les archives ce ne sont pas juste des banderoles, des documents, des t-shirts qu’on garde et que les chercheurs viendront consulter quand ils en auront besoin. On veut partir du fait que vous, nous; les LGBTQI+ autour de nous, tout le monde est porteur d’archives, d’histoires, d’expériences. Elles peuvent ne pas être juste stockées, et peuvent être réactivées à tout moment. Une banderole, on peut la ressortir ; une action militante d’il y a 5 ans, on peut la regarder sur une bande vidéo et s’en inspirer pour des actions aujourd’hui. Il faut que les archives restent vivantes.

Deuxième dimension: Les LGBQI+ doivent être porteurs de ce centre d’archives, cela ne peut pas être un projet institutionnel (archives municipales de Paris, ou autre). Cela a fait l’objet d’un gros débat avec la ville de Paris. Le fait qu’ils nous désignent comme porteuse du projet tranche cette question. Les archives municipales seront un interlocuteur avec qui nous devrons travailler bien sûr, mais c’est dans ce sens-là que les choses se feront. Parce que le résultat ne serait pas le même.

Nous avons évoqué ces thématiques les 4 et 5 mai (ci-dessous). Nous avons réunis des militants, des universitaires, des associatifs, les débats ont été très riches. Cela a permis de préciser ce que nous avions en tête.

Le projet de Centre d’archives peut prendre deux formes pas forcément faciles à articuler: d’un côté les archives, pour les chercheurs, et de l’autre un musée, pour le public. Quel est le projet que vous portez? 

Des militants ou des individus peuvent aussi avoir envie de regarder de vieilles images ou voir un vieux t-shirt. Il n’y a pas que les chercheurs et chercheuses qui peuvent se poser ce genre de questions. Nous avons d’ailleurs eu des discussions « franches » comme on dit dans la diplomatie avec les archives nationales sur l’accès. Aujourd’hui il existe des archives LGBT dans les archives publiques peu ou pas accessibles au public sauf à montrer patte blanche à l’autorité.

Qu’est ce qu’on met dans ce centre d’archives? Cela ne se limite pas à la documentation publique, ça peut être des livres, des objets… Et aussi important, voire plus: les gens qui donnent, pourquoi donnent-ils à ce moment-là? Il faut les interroger: pourquoi avaient-ils ce t-shirt à ce moment-là? C’est aussi une archive.

Qu’est-ce qu’on en fait? On ne le découpe pas en fonctions, en disant ce serait plutôt un musée, plutôt un lieu de chercheurs. Le lieu doit réunir toutes ces choses. Il y a une question qui va même encore plus loin: celle de la création artistique. Ce serait assez logique de se dire qu’à l’occasion d’une exposition sur par exemple, les personnes trans en France, on pourrait avoir aussi une performance, des conférences, etc. A la rentrée, nous allons devoir travailler sur la programmation. La première réunion de rentrée du collectif, c’est le 8 septembre à la Bourse du travail. Pour moi, la bonne manière de faire, c’est de partir des envies ou des manques des gens qui composent le collectif. Par exemple, moi ce qui m’intéresse c’est l’intimité des gens, leur maison, leur vie quotidienne. Il y a des tas de choses à raconter là dessus.

L’une des revendications du collectif, c’est l’attribution d’un lieu temporaire, en attendant le lieu définitif, qui devrait être une mairie d’arrondissement. De quel type de lieu avez-vous exactement besoin? Sachant que la mairie met déjà à disposition un box d’urgence pour stocker des archives qui seraient perdues sinon.

D’abord, nous aimerions confirmer le lieu définitif. Le lieu temporaire n’a de sens que s’il y a un lieu définitif. La ville de Paris affirme que ça sera dans une mairie d’arrondissement. C’est leur choix, pas le nôtre. Nous voulions un lieu visible, suffisant et adapté pour des archives, et accessible au public, notamment le public à mobilité réduite. Les lieux temporaire et définitif ont ces contraintes: ce sont des lieux où l’on doit pouvoir stocker, travailler et auxquels on doit accéder. Il faut tout cela dans le lieu temporaire parce qu’il faut qu’on teste, qu’on amorce, qu’on ébauche ce que va être le centre dans ses murs définitifs.

Pour ce qui est d’un ordre de grandeur, on l’estime à 200-300 mètres carrés. Si l’on regarde les lieux pérennes, le Schwules Museum, le GLBT Historical Society à San Francisco, ils tournent autour de 800 ou 1000 mètres carré. A San Francisco, ils vont déménager pour beaucoup plus grand.

Dans notre association, il y en a une qui est dédiée à la collecte d’archives depuis longtemps, c’est l’Académie gay et lesbienne. Elle n’a plus de place. L’un des enjeux aujourd’hui, c’est de soulager l’Académie parce qu’elle ne peut plus faire face aux demandes. Nous avons besoin d’aller vite. D’où une certaine frustration. La mairie prend son temps. Si on veut être positif, elle veut essayer de faire les choses bien. Entre le moment où nous avons exprimé le besoin d’un lieu temporaire et maintenant, il n’y a pas eu à notre connaissance de lieu potentiel. La mairie parle maintenant de fin 2018 début 2019. Nous ne voulons pas être prisonniers de lourdeurs politiques et administratives de la ville.

Le box, c’est bien. On a pu le visiter. Cela permet de répondre à une urgence de quelqu’un qui doit se séparer d’archives et qui ne sait pas quoi en faire, mais on ne peut pas s’y installer. Il n’y a pas de table. Ce n’est pas une pièce de travail.

Ce qui avait bloqué lors de la précédente tentative de créer un centre d’archive, menée par Louis-Georges Tin, c’était le soutien de l’Etat. Qu’en est-il aujourd’hui? 

Il y a plusieurs visages de l’Etat dans cette affaire. D’un côté, Il y a la Dilcrah. On les a rencontrés, ils se sont montrés intéressés par le projet. Cela étant, nous avons déposé un projet en février. On est le 31 juillet [date de l’interview], nous n’avons pas de réponse. Ils nous ont dit le 12 juillet qu’il était un peu tard pour se lancer dans une collecte d’archives orales pour l’année 2018… Il est un peu tard parce qu’ils ne nous ont pas répondu avant… Par ailleurs, il y a deux autres types de problèmes avec la Dilcrah, c’est qu’ils ont dit non à plusieurs projets que nous estimions importants et utiles: les projets de l’Académie gay et lesbienne, de Gaykitchcamp, de Mémoires des sexualités à Marseille, etc. Selon les cas, pas de réponse ou réponse négative. Nous avons demandé à les voir sur ces sujets et sur notre projet. Pas de réponse. On aurait aimé aussi l’aide de la Dilcrah pour structurer les archives avec les autres villes: Marseille, Lyon et d’autres. On peut réfléchir à des moyens de travailler ensemble mais pour ça il faut payer des billets de train, etc. M. Potier n’a pas répondu à notre demande de rendez-vous.

Et le souci est également que la Dilcrah finance sur projet. Une archive ce n’est pas un projet, il  peut y avoir des projets, mais c’est une institution. Tous les ans, l’archive est là, la température doit être constante, le public doit pouvoir venir, il y a des factures à payer. Et pour ça la Dilcrah n’a pas de moyens de financement. On veut avoir un échange avec la Dilcrah et Mme Schiappa qui est son autorité de tutelle sur ce sujet.

Il y a un deuxième visage de l’Etat qui est le ministère de la Culture. Il est dans le comité de suivi de la ville de Paris. C’est un partenaire, un interlocuteur. Il peut y avoir un soutien financier, mais pour l’instant nous avons rencontré la direction des archives nationales et ils nous ont dit qu’il fallait voir au niveau politique. Au niveau politique nous n’avons pas eu de réponse jusqu’ici donc nous allons relancer Mme Nyssen. Cela peut aussi prendre la forme d’un soutien en nature, de détachement de personnel, etc. Mais il y a besoin incontestablement d’un soutien de l’Etat.

 Est-ce que ce manque de soutien de l’Etat met en danger le projet? 

Non. Pour l’instant, nous les LGBTQI+, parmi lesquels le collectif, avons été les seuls à dire ce que nous voulons. Ni la mairie de Paris avec Bruno Julliard, ni l’Etat avec la Dilcrah, les archives nationales ou le ministère de la Culture nous ont dit « voilà ce que nous on souhaite et ce qu’on fera. » Nous avons posé des hypothèses sur le papier pour faire avancer les choses. Maintenant il faut que l’Etat sorte du bois. Il ne peut pas rester dans l’ambiguïté indéfiniment. Mme Schiappa a visité la GLBT Historical Society à San Francisco, donc ça l’intéresse manifestement. Si cela l’intéresse, il n’y a pas d’amour il n’y a que des preuves d’amour comme disait Cocteau. Nos interlocuteurs nous disent « c’est un beau sujet ». Très bien. Beau sujet, beaux moyens. Nous — le collectif — n’accepterons pas un lieu au rabais. Ce n’est pas possible. Il faut un lieu beau et digne pour accueillir des archives importantes auxquelles nous sommes attachés. Pour l’instant, c’est le flou.

Au fait, pour faire fonctionner le centre tel que vous l’imaginez, combien d’argent faudrait-il?

C’est dur de répondre parce qu’on ne sait pas quelles archives vont nous arriver. Donc nous avons fait notre estimation par comparaison. Nous avons essayé de voir ce qui se passe à Berlin, Amsterdam et San Francisco. Nous avons fait une moyenne des trois et nous arrivons à un chiffre ni trop exagéré ni trop petit pour commencer qui est de l’ordre de 700 000 euros par an, hors loyer. Cela comprend des moyens de personnel, de fonctionnement, de numérisation, etc. Ce n’est pas tant d’argent que ça. Le Schwules Museum accueille des expositions qui se chiffrent en millions d’euros. Dans tous les cas, y compris américains, les pouvoirs publics donnent de l’argent. La ville de San Francisco, l’Etat de la Californie, le Land de Berlin, la ville d’Amsterdam, le ministère néerlandais de la culture contribuent financièrement aux centres d’archives LGBT. A Amsterdam, cela représente 95% du budget. A Berlin, le Land finance la moitié du Schwules Museum. Alors qu’on ne nous dise pas en France, « c’est compliqué, allez voir les mécènes. » On peut toujours aller les voir bien sûr. Mais les pouvoirs publics ont cette responsabilité de ne pas faire moins bien que ça. Après tout, ils disent « Paris ville la plus LGBT-friendly du monde »… encore une fois: les preuves d’amour.

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