Crame: « En étant privé du clubbing, je me suis rendu compte à quel point c’était important »

Crame: « En étant privé du clubbing, je me suis rendu compte à quel point c’était important »

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Un an sans clubbing et, pour paraphraser une chanson de Piaf, on n’en connaît pas la fin. Tout s’est arrêté le 17 mars 2020, lors du premier confinement, lorsque tous les lieux nocturnes ont été fermés, laissant au passage clubbers et professionnel.le.s du clubbing dans le désarroi. Pour l’instant aucune perspective de réouverture n’a été évoquée par les autorités.

Arnaud Lassince, alias Crame, qui a organisé des soirées depuis plus de quinze ans à Paris (Mort aux jeunes entre 2004 et 2009, puis House of Moda entre 2011 et 2019), et qui avant le début de la pandémie était devenu programmateur de lieux (notamment à la Java), publie un court recueil de textes, illustrés par Kavehrne, où il clame sur amour du clubbing à travers une galerie de portraits de clubbers. Le livre, qui s’intitule Quand tu clubbais, est une véritable déclaration d’amour, empreinte de nostalgie, au clubbing et aux clubbers. Le clubbing appartient-il au passé?

On en a discuté avec Crame.

Couverture de « Quand tu clubbais ».

 

HORNET: Comment est né ce livre?

Crame: Il est né suite à la fermeture des clubs, avant le premier confinement. Le clubbing constituait mon activité professionnelle. Cette occupation professionnelle et celle de beaucoup de gens autour de moi s’est arrêtée du jour au lendemain, sans qu’on l’ait du tout anticipé. Après il y a eu le confinement. Les semaines ont passé. Les reports de soirée se sont multipliés. Petit à petit le clubbing m’est apparu comme quelque chose qui appartenait au passé. Vers le mois de mai, j’ai eu envie d’en parler, de mettre des mots sur le clubbing de façon littéraire, de m’adresser aux clubbers, en parlant d’elles et d’eux et de le faire au passé pour donner le sentiment que c’était une activité des temps anciens. 

J’ai fait appel à un camarade pour m’aider à en faire un livre, Kavehrne. Il l’a mis en page. Et je lui ai demandé de l’illustrer, il a fait la couverture et toutes les illustrations intérieures. L’idée c’est que moi j’avais mon regard sur le clubbing, nourri par mon expérience, lui a un regard différent. Cela nous a fait deux histoires différentes sur le même sujet.

On a sorti une première édition autoéditée en juin. Elle a été assez rapidement épuisée. D’autres mois se sont écoulés. Il y a eu une espèce de parenthèse en été, avec une atmosphère assez légère, même si les clubs étaient fermés. Après est venue une nouvelle période contraignante pour tout le monde. J’ai eu à nouveau envie d’écrire, j’avais l’impression de ne pas avoir tout dit. Je me suis rendu compte notamment que lors de la première édition je n’avais pas beaucoup parlé de musique alors que c’est le cœur du club. Kavehrne a fait d’autres illustrations. Et on l’a ressorti en auto-édition. 

Les illustrations de Kavehrne sont un contrepoint assez sombre à tes textes. C’était ce que tu voulais?

Crame: Je suis allé chercher en tant qu’ami et artiste. Je ne lui ai pas donné d’indication. Bien sûr, je connais son univers. Il est illustrateur et tatoueur. Il a des sujets de prédilection. Ces sujets se retrouvent dans ses illustrations. Le clubbing n’est pas tellement son univers mais il l’a abordé par rapport à ses sujets à lui, qui sont plus sombres, plus glauques. J’ai fait le choix conscient et assumé d’apporter une vision un peu positive du clubbing parce que je voulais lui donner la patine du souvenir. On se souvient des bons côtés. J’imagine qu’il y a quand même une certaine dose de mélancolie, parce que je suis comme ça. C’est volontairement nostalgique. 

Tous les portraits sont écrits à la deuxième personne du singulier. Mais le clubbing pour toi, pour “je”, ça représente quoi?

Crame: Déjà ça représente un peu de ce qu’il y a dans tous les “tu” du livre. Ce sont des portraits très variés et dépersonnalisés qui peuvent s’appliquer à plusieurs types de gens, plusieurs types de clubs, plusieurs lieux géographiques, etc. Je me retrouve un peu partout. Je suis dans une relation au clubbing qui est avant tout professionnelle depuis une dizaine d’années. Je suis organisateur de soirées et plus récemment programmateur de lieu. Ces fonctions ont toujours été des postes d’observations.

J’ai du mal à me considérer comme un clubber. Parce que je me sens un peu en décalage par rapport aux autres gens. Par contre ce poste d’observation m’a toujours passionné parce que chaque nuit est un spectacle avec beaucoup de personnages différents, où il se passe des choses romanesques. L’idée de m’adresser aux clubbers à la deuxième personne, c’est comme si je leur écrivais une lettre, que je leur adressais un regard sur ce que eux et elles faisaient toutes ces nuits en club, avec un message derrière: ce que tu faisais en club avait une importance. Ce n’était pas rien. C’est une chose à laquelle j’ai beaucoup pensé en concevant ce livre.

Parce que le clubbing, avec la pandémie, est considéré comme la chose la moins essentielle dans toute l’échelle de ce qu’on peut faire dans ce pays. Tout en bas, c’est le clubbing. En en étant privé, je me suis au contraire rendu compte à quel point c’était important. Cela a une valeur culturelle, une valeur artistique. Ça a du sens pour la jeunesse. Tout ça n’existe pas en ce moment et ça manque. Un bouillonnement créatif, une excitation, une vibration comme on dit parfois, qui n’existe pas en ce moment et qui fait que notre vie est triste. Et ça c’est une chose dont les gens n’ont pas forcément conscience parce c’est léger, c’est éphémère. Le dimanche matin c’est fini, tout est oublié. C’est quelque chose qu’on fait pendant quelques années de sa vie et après on passe à autre chose. Le clubbing ce n’est pas quelque chose qu’on met forcément sur un piédestal dans le regard qu’on porte sur sa vie. Le regard qu’on porte sur sa vie est influencé par le regard que la société porte sur nos vies. Et moi j’avais envie de dire, en utilisant une langue littéraire, si en fait. Il s’est passé plein de choses: pour ton entrée dans la vie adulte, pour la découverte de plein de choses, etc.

  

Un an sans clubbing, tu le vis comment?

Crame: Professionnellement, je suis au chômage. Ça m’a conduit à des interrogations sur mon avenir. Beaucoup de confrères et de consœurs travaillent à une reconversion ou passent à autre chose. Il y en a d’autres qui s’accrochent. Moi je suis un peu le cul entre deux chaises. Je viens de reprendre des études, un master de management des organisations culturelles. C’est un peu la même chose, mais avec une connotation plus monde de la culture et moins monde de la nuit. Ce qui me manque, c’est de danser. Il y a une sensation physique de chaleur, de moiteur et de proximité avec les autres gens qui me manque. Ce côté sueur qui tombe du plafond. Je n’y pense pas tout le temps, mais parfois je me dis que j’aimerais vraiment ça. Il n’y aucun endroit où tu peux trouver ça aujourd’hui, même dans une fête d’appartement. Par contre, je ne fais pas des pieds et des mains pour être de toutes les fêtes clandestines. Cela ne m’intéresse pas plus que ça. Le clubbing ne me manque pas à ce point.

Même si tu en parles au passé, le clubbing finira bien par reprendre un jour, quoique peut-être pas exactement à l’identique. Que va-t-il en rester, selon toi? 

Crame: J’ai beaucoup d’incertitudes sur ça. Je pense que ça ne sera pas des retrouvailles. Le clubbing c’est un mélange entre voir un petit peu tout le temps les mêmes têtes et voir de nouvelles têtes. Quand ça reviendra, ça ne seront que des nouvelles têtes. Il y aura beaucoup de nouveaux collectifs. Certains anciens collectifs auront lâché l’affaire. Je ne sais pas si ça reprendra dans les mêmes conditions. Les autorités s’habituent à restreindre les libertés. Toutes les mesures qui existent sur les jauges, sur le fait d’être assis ou debout, d’être un bar ou un club ou une salle de concert, toutes ces distinctions là que tout le monde a connu pendant la pandémie, elles existaient déjà en fait d’une façon ou d’une autre. Je l’ai vécu en tant que programmateur, où dans un lieu on avait le droit de faire ceci et pas cela, d’accueillir tant de personnes, d’ouvrir à telle heure mais pas plus tard. Toutes ces mesures peuvent perdurer et se renforcer. Je ne sais pas si le clubbing tel qu’on l’a connu sera le même. Il y a aussi pour moi une question de mode. Toutes les années 2010, ça a été une explosion du clubbing, des raves, des festivals, du monde de la musique électronique en général. Avant, dans les années 2000, c’était moins le cas, et peut-être que dans les années 2020 post-covid on retournera à une forme où les gens seront passés à autre chose. Il n’y aura peut-être plus ce côté massif qu’il y a eu dans les années 2010. 

Et toi, vas-tu reprendre une activité dans le clubbing? 

A l’heure actuelle, ce que j’aimerais bien en fait, c’est être programmateur d’un lieu, pas forcément d’un club, pas forcément sur une activité nocturne. Apporter toute la valeur artistique, culturelle et sociale du clubbing dans d’autres univers. Si je donne un exemple, j’ai eu la chance d’organiser la soirée House of Moda, dont beaucoup de gens se sont emparés comme moyen d’expression drag pour créer leur personnage, faire évoluer leur drag, être de plus en plus sophistiqués, jusqu’à devenir des artistes drag. Cette façon de faire naître des vocations artistiques mérite d’exister dans d’autres univers. Il y a d’autres mondes qui sont beaucoup plus passifs dans leur approche de la culture. Il y a l’institution qui donne à voir des choses et un public qui vient et qui regarde, que ce soit les musées ou les théâtres… Le clubbing est un endroit où la pratique artistique naît aussi sur le dance-floor, et pas seulement derrière les platines des DJs. J’ai envie de pouvoir faire vivre ça dans d’autres lieux que les clubs.  

Quand tu clubbais (auto-édité), Crame, illustrations: Kavehne.

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