Disparition d’Howard Cruse, l’auteur de la bédé culte « Un monde de différence »
Son nom ne vous dira peut-être rien, mais c’est l’auteur d’une des plus belles bédés sur une thématique gay. L’américain Howard Cruse, auteur d’Un monde de différence (Stuck Rubber Baby, en anglais), vient de s’éteindre à l’âge de 75 ans des suites d’un lymphôme, apprend-on sur le site LGBTQnation.com.
La bédé, qui s’inspire de certains souvenirs d’Howard Cruse, raconte l’histoire d’un jeune homme orphelin gay et blanc, Toland Polk, dans le sud des Etats-Unis à la fin des années 60. Via plusieurs rencontres, Toland va prendre conscience peu à peu de l’ampleur de la ségrégation et du racisme vis à vis des noirs et s’intéresser à la lutte pour les droits civiques. Il va aussi expérimenter directement l’homophobie très forte de cette époque là. Tantôt drôle, tantôt bouleversant, mais toujours juste, Un monde de différence est un petit chef d’oeuvre qui sera couronné par plusieurs prix prestigieux dont le Prix Eisner du meilleur album en 1996, et le Prix de la critique au Festival d’Angoulême en 2002.
« Son influence a été énorme »
Pour l’auteur et dessinateur français de bédé, Jean-Paul Jennequin, « L’influence d’Howard Cruse a été énorme. Il a été le premier rédacteur en chef en 1980 de la revue Gay Comix. Pour lui, accepter ce poste revenait à faire son coming-out professionnel. A l’époque, il n’y avait quasiment pas d’auteur.e out. En tant que rédacteur en chef sur quatre numéros, il a montré le potentiel de la bédé LGBT. Il a prouvé qu’on pouvait montrer toutes les facettes de la vie LGBT et le faire avec un haut niveau de qualité. Le premier fanzine que j’ai publié à la fin des années 80 était influencé par lui. »
Il a ensuite créé le personnage de Wendel, un homme gay, dont on suivait la vie dans le journal gay The Advocate. « Avec Wendel, il a pratiquement inventé le modèle de la sitcom gay, commente Jean-Paul Jennequin, qui dirige actuellement La revue LGBT BD [qui vient de sortir son numéro 9]. Sur chaque double page il y avait une histoire différente, avec des personnages récurrents, mais qui s’inscrivait dans une perspective plus longue ». Pour le dessinateur français, Cruse a notamment influencé Alison Bechdel, l’auteure du roman graphique Fun Home, qui a notamment été adapté en comédie musicale à Broadway.
« Une oeuvre du niveau de Maus«
Jean-Paul Jennequin est par ailleurs le traducteur d’Un monde de différence. « C’est le premier roman graphique à thématique LGBT. J’ai toujours pensé qu’il était du niveau de Maus, d’Art Spiegelman. », estime-t-il, avant d’ajouter: « Le grand public n’était pas prêt pour cette oeuvre. L’histoire lui donnera raison et lui rendra la place qu’il occupe dans l’histoire de la bédé. »
Un monde de différence, difficilement trouvable aujourd’hui, sera réédité l’année prochaine aux Etats-Unis et Jean-Paul Jennequin nous indique que sa traduction devrait l’être également en France. L’occasion de lire ou relire cette oeuvre magnifique, sans doute le meilleur hommage que l’on puisse rendre au génie d’Howard Cruse.