Florent Manelli: « Pourquoi n’avons-nous pas un mois de l’histoire LGBT comme aux Etats-Unis ou en Angleterre? »
L’histoire LGBT par celles et ceux qui l’ont faites et qui continuent de la faire. C’est ce qu’on peut découvrir dans le beau livre de Florent Manelli, 40 LGBT+ qui ont changé le monde (Edition Lapin). On y découvre des portraits de personnalités d’hier et d’aujourd’hui, de tous les continents et de toutes les orientations sexuelles ou identité de genre. Certains sont connus, d’autres devraient l’être davantage. On peut citer pêle-mêle Jean Le Bitoux, Daniel Defert, Keith Haring, Marsha P. Johnson, Hamed Sinno, Bayard Rustin, etc. Les illustrations s’accompagnent de textes fouillés, qui apprendront sans doute des choses même aux plus militant.e.s d’entre nous.
Pour Hornet, Florent Manelli, 29 ans, revient sur la naissance de ce projet, sur les personnalités qui l’ont plus marqué et sur l’importance de la mémoire LGBT
Comment est né ce projet?
Ce projet est né en février 2017, lorsque je suis tombé sur la publication Instagram d’Olly Alexander, le chanteur du groupe de pop britannique Years & Years, au sujet du mois de l’histoire LGBT célébré durant cette période en Angleterre. J’ai trouvé l’idée fascinante, n’ayant pas nécessairement imaginé ou pensé une seule seconde que ma communauté pouvait avoir une histoire. Je connaissais quelques figures connues mais pas plus. Avec un mélange de frustration de ne réaliser cela que tardivement, je me suis plongé dans des dizaines d’ouvrages, documentaires, podcast, documents et films. En octobre 2017, j’ai posté sur mon compte Instagram 20 portraits de personnes LGBT+ qui avaient ou ont fait bouger les droits des personnes LGBT+, ces portraits sont ensuite devenus une exposition (présentée à la Mairie du 14ème arrondissement, au festival Rock en Seine et dans divers lieux associatifs) et pour finir un livre sorti en juin 2019. Cet ouvrage, sur lequel j’ai travaillé pendant un an et demi, m’a permis d’aller plus loin dans les biographies, le nombre de portraits, le travail graphique et illustratif. Je voulais créer un livre qui se prête, se partage, s’offre, pour que vive et se diffuse la mémoire et les combats LGBT+.
Comment avez-vous sélectionné les portraits?
Je voulais dès le départ avoir une diversité de nationalités, de temporalité, de sexualités, d’identité de genre, de race et de formes d’activisme. Le choix a été complexe (d’autant plus qu’il est parfois difficile de trouver des informations sur des militants LGBT+ ou de les contacter dans certaines dictatures ou pays autoritaires par exemple) mais je crois avoir trouvé un bon équilibre. Certains portraits me permettent également de traiter d’une thématique et discrimination précise : les discriminations dans le sport, la représentation dans les médias, la mémoire des déportés homosexuels, etc.
Quels sont ceux qui vous ont le plus marqués?
Je crois que chacun.e à leur façon m’ont marqués, interrogés, intrigués et même émus mais ces 40 personnes m’ont surtout permis de mieux appréhender les systèmes d’oppression que subissent les personnes LGBT+ et les différences d’oppression selon notre identité de genre, sexualité, comprendre l’intersectionnalité des discriminations au sein de la communauté LGBT+. Certains parcours ont aussi forcé mon admiration comme celui de Jean Le Bitoux qui n’a eu de cesse de porter différentes luttes gay dans sa vie (création du magazine Gai Pied, lutte contre le VIH avec AIDES, lutte pour la totale dépénalisation de l’homosexualité en 1982, mémoire de la déportation homosexuelle, organisation de la première marche des fiertés à Paris, etc.) mais aussi Marsha P. Johnson dont on a beaucoup parlé cette année avec la célébration des 50 ans des émeutes de Stonewall mais qui ne se résume pas qu’à cet événement marquant, tant sa vie et ses actions militantes ont été dédiées aux luttes contre les LGBTphobies.
Fait-on assez pour la mémoire LGBT, en particulier en France, selon vous?
Non, vraiment pas. Les centres LGBT et certains particuliers font un travail formidable de collecte, de traitement et parfois de mise à disposition de cette mémoire éparpillée un peu partout en France mais les moyens financiers et humains sont loin d’être suffisants. Au-delà de la perte de la mémoire de notre communauté, c’est aussi une invisibilisation des combats et personnes LGBT+ à travers l’histoire qui entre en jeu. D’autres pays possèdent des centres d’archives LGBT+ pourquoi pas nous? Pourquoi n’avons-nous pas un mois de l’histoire LGBT comme aux Etats-Unis ou en Angleterre? Quand je vois la gestion du dossier des archives LGBTQIA à Paris par la Mairie, je suis un peu confus (sans parler du délai… plus de 20 ans que l’on parle de ce projet). Le collectif nommé initialement pour monter ces archives fait un travail extrêmement précis et juste et j’espère qu’il portera jusqu’à la fin ces archives LGBT+ dont nous manquons cruellement.