“I love porn”, 50 ans de porno gay, vus par Didier Lestrade
Après avoir lu ce livre, vous ne regarderez peut-être plus du porno de la même manière. Didier Lestrade prévient d’emblée: I love porn n’est ni un livre historique ni une étude sociologique sur le porno gay. Fidèle à la démarche entamée dans ses précédents livres, l’auteur part de son expérience personnelle et de sa vie pour raconter un sujet, ici le porno.
I love porn présente donc une vision éminemment subjective de l’industrie du porno gay, qui n’en est pas moins passionnante. Le journaliste se souvient ainsi avec émotion de son premier film, Muscle Beach des Studios Colt, avec Rick Wolfmier et Mike Betts (photo de une), et dit son admiration pour Tim Kruger, des studios TimTales, le meilleur réalisateur de porno actuel, selon lui.
Tous les aspects du genre sont décortiqués: la musique, les comédiens, les décors, le rapport entre porno homo et porno hétéro, avec notamment le concept du “gay for pay” (quelques unes des pages les plus intéressantes du livre) la présence/absence du VIH à l’écran, etc.
Un sujet culturel comme les autres
Pour le journaliste de 63 ans, le porno est un sujet culturel comme les autres. C’est d’ailleurs ainsi qu’il est traité dès 1995 dans les pages de Têtu, qu’il a co-créé. Les sorties de nouveaux films sont analysées et critiquées comme n’importe quel autre court ou long-métrage: le cadrage et la lumière sont-ils réussis? Les comédiens bons? Le montage pertinent? Cela n’a l’air de rien, mais c’est à l’époque une petite révolution.
Ce n’est pas parce qu’on se masturbe devant un film qu’il ne faut pas le prendre au sérieux. Bien au contraire. Car des grands studios californiens au phénomène Onlyfans, raconter l’histoire du porno gay c’est aussi raconter l’histoire gay tout court. Libération sexuelle, VIH, ouverture à une meilleure représentativité, c’est presque une banalité de le dire: le porno reflète son époque.
C’est aussi souvent la première représentation de sexualité gay que nous avons. Le chercheur Florian Vörös, spécialiste des “porn studies” le rappelait dans une interview à Têtu: “Dans un contexte de censure homophobe, le porno gay a constitué – et constitue toujours – le principal support d’éducation aux codes culturels qui organisent les sexualités gays.” S’interroger sur les codes et les représentations du porno gay, comme le fait le journaliste et militant tout au long de son livre, c’est donc aussi questionner notre éducation sexuelle. Et notre santé sexuelle.
Lestrade restant Lestrade, on pourra lire des phrases définitives comme: “Je vois le chemsex comme une conséquence directe du bareback et de l’influence de la communauté BDSM. Regardons les choses en face, cette dépendance aux drogues ne vient pas des gays qui sont dans le sexe vanille [le sexe classique, ndr].” Ou “ l’idée principale aujourd’hui, c’est de baiser jusqu’à ce que mort s’ensuive. Chacune de ces phrases étant à replacer évidemment dans son contexte, mais qui montrent que le co-fondateur et ancien président d’Act Up-Paris n’a pas renoncé à son rôle d’aiguillon ou de lanceur d’alerte sur les questions de santé. On n’est pas obligés d’être d’accord avec lui, mais l’auteur a le mérite de poser des questions importantes.
Un regret peut-être en refermant le livre, Didier Lestrade, imprégné de culture américaine, évoque assez peu le porno français, en dehors de Jean-Noël René-Clair, alias JNRC, célèbre pour ses vidéos de solos d’hommes le plus souvent hétéros, et très rapidement les studios French Art, de Jean-Daniel Cadinot et Citébeur. Cette histoire-là reste à écrire.
I love porn, Didier Lestrade, Editions du Détour, 21,90 euros