« Ich bin Charlotte »: Un seul en scène virtuose sur la vie incroyable d’une icône méconnue
A l’époque on disait travesti. Aujourd’hui on parle de femme trans. La pièce Ich bin Charlotte, présentée au Théâtre Libre à Paris, jusqu’à fin mars, évoque la vie de Charlotte von Mahlsdorf, dont le parcours singulier dépasse de toute façon les étiquettes.
Née en 1928, elle s’assume femme à l’adolescence, grâce à une tante qui estime que la vie leur a joué un mauvais tour, elle aurait dû être un homme et lui une femme. Pendant la guerre elle tue littéralement un père nazi et violent et commence à porter des vêtements féminins. Elle commence ensuite à collectionner les vieux meubles qui viennent peupler un musée, le Gründerzeit Museum, situé dans le quartier de Mahlsdorf à Berlin. Ce dernier, situé à Berlin Est, lui inspire son nouveau nom. Après le règne nazi, elle vit donc sous le régime communiste, dans une ville bientôt coupée en deux par le Mur, toujours en assumant son identité, alors que l’époque n’est guère tendre avec celles et ceux qui s’écartent de la norme.
En 1992, elle publie un livre sur sa vie, Ich bin meine eigene Frau — « Je suis ma propre épouse » (ou femme, « Frau » a un double sens), que le cinéaste gay Rosa von Praunheim adapte à l’écran. La même année, elle reçoit aussi L’ordre du mérite de la République Fédérale d’Allemagne. Un peu plus tard, la vie de Charlotte inspire le dramaturge américain Doug Wright. Il en tire une pièce, I am my own wife, qui obtient en 2004 deux des plus prestigieuses récompenses: le Prix Pulitzer pour le théâtre et le Tony Award de la meilleure pièce. C’est celle-ci qui a été adaptée en français sous le titre de Ich bin Charlotte (« Je suis Charlotte »). Il s’agit d’un seul en scène et sur la scène du Théâtre Libre, le comédien Thierry Lopez incarne avec brio et élégance Charlotte, mais aussi toute une flopée d’autres personnages: le rôle de Doug Wright, celui de leur intermédiaire, et des différents protagonistes qu’elle a pu croiser dans sa vie. Thierry Lopez passe de l’un à l’autre en modifiant tantôt un accent, tantôt une posture.
Ich bin Charlotte offre un portrait saisissant et non-complaisant de Charlotte, explorant aussi sa part d’ombre — ses relations avec la Stasi, notamment. A noter que depuis la création de la pièce Charlotte a été quasi-exclusivement jouée par un homme. Aux Etats-Unis, elle commence désormais à être jouée par des femmes trans.
Après un déménagement en Suède, Charlotte est morte lors d’un voyage dans sa ville natale en 2002. A Berlin, son musée est toujours ouvert. Et son nom continue de résonner sur les scènes du monde entier.
Ich bin Charlotte, au Théâtre Libre, jusqu’au 29 mars, de Doug Wright, adapté par Marianne Groves, mis en scène par Steve Suissa.
Photo: Svend Andersen