Jérôme Sussiau, ou la photo de nu masculin renouvelée
Jérôme Sussiau expose du 3 septembre au 3 octobre au bar le Yono, dans le Marais. L’occasion de découvrir ou de redécouvrir le travail sur les corps du photographe parisien. Ses photos sont reconnaissables entre toutes: des tons pâles, très peu de décor, un ou deux hommes nus, dans des poses qui frisent parfois l’abstrait. Arriver à renouveler le genre du nu, pourtant usé jusqu’à la corde, n’est pas le moindre des mérites de Jérôme Sussiau, autodidacte et timide avoué.
Nous l’avons interviewé à quelques heures du vernissage de l’expo.
HORNET: Quel est votre parcours de photographe?
Je suis complètement autodidacte et mon travail reste très artisanal. Je ne suis pas un grand technicien mais j’aime de plus en plus cette façon simple et instinctive de prendre mes photos.
Je fais des photos depuis l’adolescence. Au départ, j’ai beaucoup expérimenté lors de mes différents voyages en m’intéressant essentiellement aux portraits ou aux personnes que je rencontrais. Les photos de paysage ne m’ont jamais attirées. Il y a d’ailleurs très peu de décor dans mes images actuelles. Il fallait toujours une interaction humaine ou corporelle dans mes clichés.
Je suis venu au nu assez tardivement, par pudeur et par timidité.
Quel sens donnez-vous à la série que vous exposez au Yono?
Ce n’est pas une « série » au sens artistique du terme. Je n’ai pas fait d’exposition depuis presque deux ans. Je ne voulais pas trouver un thème particulier ou me limiter à une série précise comme lors de mes précédentes expositions (d’ailleurs celle-ci n’a volontairement pas de titre). Je voulais montrer l’évolution de mon travail photographique depuis deux ans et j’ai choisi les 35 clichés qui symboliquement me semblaient importants dans ma constante recherche autour du corps et du masculin.
Comment choisissez-vous vos modèles?
Le plus souvent, ce sont plutôt les modèles qui se proposent pour participer à mon travail. Par timidité, je demande très rarement à quelqu’un de poser pour moi. J’«utilise» mes modèles comme un matériau brut et le fait que je ne les choisisse pas me permet de ne pas en attendre quelque chose de précis. Ce n’est qu’au moment de la séance quand ils sont en face de moi que je me demande ce que je vais en faire et que nous travaillons ensemble sur leur corps et ses possibilités.
Ils sont en grande majorité blancs, avec un corps sportif. Est-ce délibéré?
Ce n’est pas la première fois que l’on me fait cette remarque. Ce n’est évidemment pas délibéré. Je ne me pose pas la question. Au tout début de mon travail sur le nu, j’ai commencé une série sur les chutes, ce qui m’a amené beaucoup de danseurs, plutôt fins, musclés et imberbes… Mais ce n’était pas un critère de base pour poser.
Tous les corps sont foncièrement différents et m’intéressent dans ce qu’ils peuvent donner à exprimer. Comme je ne choisis pas mes modèles, ils sont souvent déjà à l’aise avec leur corps et leur nudité.
Je ne cherche pas la diversité à tout prix mais plutôt l’individualité de chaque corps. C’est intéressant d’observer que même deux corps ou morphologies a priori très semblables ne s’expriment pas de la même façon.
Le plus souvent je découvre le corps des modèles le jour de la séance et je fais en fonction du «matériel » qui est devant moi (poilus ou pas, cicatrices ou pas, grains de beauté et grains de peaux ou autres plis et muscles…)
Vos modèles prennent souvent des poses inhabituelles ou étranges. Comment les dirigez-vous?
C’est une étroite collaboration et tous les modèles n’ont pas les mêmes possibilités corporelles. Cette contrainte est amusante et les séances sont parfois assez cocasses. C’est un vrai don de la part des modèles et je les remercie infiniment de jouer le jeu de se déformer parfois au point qu’ils ne reconnaissent pas leur corps.
Je suis loin d’être un dictateur, je préfère m’adapter à eux et à ce qu’ils peuvent proposer et exprimer. Je donne l’idée générale, je montre souvent ce que j’aimerais que les modèles fassent et au final ils font beaucoup mieux que ce que j’avais imaginé !
Votre regard de photographe a-t-il évolué au fil de la série?
J’espère que mon regard est toujours en évolution ! Mon matériel de base, le corps, est tellement riche qu’il y a toujours de nouvelles choses vers lesquelles se diriger. C’est fascinant de voir les corps et les gens s’exprimer par lui.
Voir quelques photos de Jérôme Sussiau:
Photos: Jérôme Sussiau