Une balade LGBT dans les cimetières parisiens (1/3): Le Père Lachaise et le Cimetière de Charonne
L’histoire est partout dans Paris, et l’histoire LGBTI notamment se croise au fil des quartiers et des rues, des plaques posées sur les immeubles et des souvenirs des lieux de rencontres. Mais c’est sans doute dans les allées des cimetières parisiens que se concentre la plus grande part de notre mémoire, celle des artistes gays et lesbiennes, des héros, des icônes, des martyrs aussi, de Proust à Dalida, d’Oscar Wilde aux victimes du sida. Visite très orientée de ces lieux de mémoire…
Etape 1: Le Père Lachaise et le cimetière de Charonne
C’est par la monumentale entrée située sur le boulevard de Ménilmontant qu’on pénètre dans le plus illustre et le plus vaste des cimetières parisiens ouvert depuis 1804, celui qui abrite le plus de tombes de célébrités de tous ordres, et les tombeaux les plus riches. Il faut prendre le temps de se perdre dans ses innombrables allées, celles, larges et rectilignes qui structurent certaines zones du cimetière, comme celles, tortueuses et étroites qui se nichent en son cœur. Partout, le charme de ces vieilles pierres à l’ombre de vieux arbres opère, que l’on croise ou non des noms connus gravés au fronton des caveaux.
Dans le prolongement de la porte du cimetière s’ouvre la l’imposante avenue Principale. En la remontant, vous trouverez sur la gauche le tombeau de Colette. La si libre romancière aux amours multiples, tant masculines que féminines, est ainsi la première personnalité LGBT à accueillir les visiteurs, et ce n’est pas un mauvais signe. En continuant cette avenue sur le même côté, vous atteignez l’avenue Latérale Nord. A proximité dela colossale chapelle dédiée à Adolphe Thiers, la discrète tombe de Raymond Radiguet rappelle le souvenir de ce jeune écrivain, amant et protégé de Jean Cocteau, mort à 20 ans en 1923, après deux romans seulement, dont le sulfureux Diable au corps.
L’avenue Feuillant puis, à gauche, le chemin de la Cave, permet d’apercevoir la tombe de la comédienne Annie Girardot. Plus loin, par l’avenue Delacroix et le chemin Casimir Delavigne, vous atteignez le tombeau de ce forçat des lettres que fut Honoré de Balzac, créateur, dans sa tentaculaire Comédie humaine, d’un des premiers personnages d’homosexuels de la littérature française, Vautrin. Par l’avenue Transversale 1 puis l’avenue Saint Morys, vous saluerez la mémoire de l’homme qui abolit l’esclavage en 1848, Victor Schoelcher, dont les cendres ont été transférées au Panthéon mais dont demeure le cénotaphe.
Le chemin Citerne vous mène ensuite dans une des zones les plus belles et les plus émouvantes du Père Lachaise, avec ses sentiers cabossés, sa végétation envahissant les pierres tombales abandonnées, ses sépultures chahutées par le temps. Le chemin Molière et La Fontaine porte bien son nom puisque s’y côtoient les tombeaux du fameux fabuliste et celui du plus grand dramaturge français, dont une pièce récente de Jean-Marie Besset a révélé la bisexualité. C’est en 1817, pour populariser le Père Lachaise que ces deux écrivains morts deux siècles plus tôt virent leurs dépouilles être inhumées ici.
Au bout de cette même allée, le chemin Camille Jordan est une destination essentielle pour les visiteurs homos du cimetière puisque c’est ici que se trouve une personnalité trop méconnue, de notre histoire : Jean-Jacques de Cambacérès. Ce fidèle de Napoléon, nommé Deuxième Consul puis archichancelier par l’empereur en dépit de son homosexualité notoire, est en effet à l’origine de la disparition de la sodomie et des relations entre hommes des crimes répertoriés par les codes civil et pénal qu’il rédige, faisant de la France de 1810 un pays très en avance sur les autres Etats européens, où la peine de mort ou la prison à vie sont encore monnaie courante.
Aux alentours du tombeau de Cambacérès se succèdent les imposants mausolées de nombreuses autres personnalités de l’empire. Le chemin du Dragon conduit à la tombe de la poétesse Anna de Noailles, riche protectrice de nombreux artistes au début du XXè siècle (Gide, Cocteau, Colette, Max Jacob, Pierre Loti entre autres fréquentèrent son salon)puis au très imposant mausolée de la princesse Stroganoff. C’est dans cet espace réduit, sur ces quelques allées qui serpentent entre les sépultures et tournent sur elles-mêmes, à l’ombre et dans les encoignures des tombeaux que perdura longtemps (aujourd’hui encore ?) un des terrains de drague en plein air les plus prisés des gays parisiens.
En contrebas du monument de la princesse, on découvre une autre vaste zone du cimetière vers laquelle on va descendre. Prolongeant le chemin du Dragon, celui de la Vierge mène à l’immense rond-point où est érigée la statue de Casimir Périer. Entouré de bancs, ce lieu est presque unique dans Paris puisqu’il est un des très rares endroits d’où aucun bruit de circulation n’est perceptible. Sur son pourtour s’ouvre le chemin Lauriston qui mène au chemin de Lesseps où vous trouverez l’une des tombes les plus célèbres du cimetière, qui attire à elle seule des milliers de visiteurs : celle de l’idole Jim Morrison. Le chemin de la Beyodière accueille le tombeau du metteur en scène Patrice Chéreau, mort en 2014, dont le film L’Homme blessé fit scandale à Cannes en 1983 pour avoir montré une dramatique passion gay, et qui révéla sur scène les pièces incandescentes de Bernard-Marie Koltès.
Un escalier vous mène ensuite avenue des Acacias. A droite, prenez le chemin Abadie, à droite toujours l’avenue Transversale 2, puis à gauche l’avenue Circulaire jusqu’à l’avenue Transversale 3. Par celle-ci, vous atteignez les tombes du sculpteur Amedeo Modigliani et de la chanteuse Edith Piaf, autre incontournable figure du Père Lachaise, toujours énormément fleurie. A droite, l’avenue Pacthod vous ramène à l’avenue Circulaire où se trouve la tombe de la romancière et poétesse américaine Gertrude Stein, fameuse figure du Paris littéraire et saphique des années 1920-1930.
Un peu plus loin, en remontant l’avenue Carette, se dresse le très touchant tombeau d’Oscar Wilde. La belle sculpture de sphinx ailé est désormais protégée par une vitre, pour empêcher les innombrables admirateurs de déposer des baisers et des traces de rouge à lèvres sur le monument de celui qui fut condamné en 1895 à la prison et à l’indignité en raison de son homosexualité, avant de mourir dans l’anonymat et la misère à Paris en 1900.
L’avenue Carette croise ensuite l’avenue Transversale 2. Faites un petit détour sur la gauche pour jeter un œil (voir plus) sur le gisant du journaliste Victor Noir, célèbre pour l’imposante érection que dessine le bronze à son entrejambe, dépoli à cet endroit par les milliers de mains qui viennent le caresser… Revenez sur vos pas, jusqu’à l’avenue Carette que vous empruntez à gauche. L’allée fait un coude puis croise le chemin Perignon où se blottit la tombe de la grande Sarah Bernhardt. On est frappé par la taille minuscule de celle qui fut la plus fameuse comédienne de son temps, grande amoureuse devant l’éternel, quel que soit le sexe de qui elle aimait… Après un nouveau coude, vous êtes sur l’avenue Aguado qui ramène à la Transversale 2.
Par la Transversale 2, vous atteignez l’avenue des Combattants Etrangers morts pour la France. Un peu plus loin, sur votre droite, ne manquez pas d’aller saluer la mémoire de l’auteur d’une des œuvres majeures du XXè siècle, cette Recherche du temps perdu dans laquelle l’homosexualité surgit à intervalles réguliers : Marcel Proust.
On ne saurait achever cette ballade au Père Lachaise sans une longue halte à l’imposant crématorium qui se dresse non loin de la tombe de Proust, et une déambulation dans le columbarium. Ces lieux en effet restent hantés à tout jamais pour les gays par le souvenir des cortèges accompagnant dans les années 1980-1990 les morts du sida, et des multiples crémations qui y eurent lieu, en premier lieu celle du charismatique président d’Act Up, Cleews Vellay, du cinéaste et écrivain Cyril Collard ou du romancier Pascal de Duve. Si les cendres de ces trois-là, comme bien d’autres, furent ensuite dispersées ailleurs, celles du philosophe Jean-Paul Aron (qui fut la première personnalité publique française à parler de son sida en 1984), du dramaturge Jean-Luc Lagarce, du militant et journaliste Jean Le Bitoux, de l’écrivain et philosophe Guy Hocquenghem sont au columbarium du cimetière. Les plaques rappelant leur mémoire y côtoient celles évoquant la danseuse Isadora Duncan ou la diva Maria Callas.
Sortez du cimetière en prenant sur la droite l’avenue des Combattants Etrangers qui vous mène jusqu’à la place Gambetta. Vous pouvez à partir de là poursuivre votre promenade en substituant au gigantisme du Père Lachaise l’intimité du minuscule et charmant cimetière de Charonne.
Pour vous y rendre en quelques minutes de marche, descendez sur quelques dizaines de mètres la rue des Pyrénées, puis suivez la rue Stendahl. Juste avant d’arriver à un grand escalier, bifurquez à gauche. C’est là que s’ouvre ce cimetière, blotti autour d’une jolie église qui domine le très agréable quartier de Charonne-Saint Blaise, ses maisonnettes blanches et ses jardins. Parmi les tombes anciennes qui se serrent sur les pentes de ce petit enclos où fut enterrée l’an dernier la grande actrice Emmanuelle Riva, on compte quelques personnalités un peu oubliées (le comédien Pierre Blanchar, le compositeur Darius Milhaud, le père Magloire…), et une, très sulfureuse : l’écrivain collaborationniste (à la fois homophobe affiché et homosexuel caché…) Robert Brasillach, exécuté à la Libération en raison de ses écrits antisémites.