Peut-on employer le mot « enculé »?

Peut-on employer le mot « enculé »?

Be first to like this.

Sur Twitter, on débat aujourd’hui — entre autres, bien sûr — de l’usage du mot « enculé ».
Tout est parti d’un tweet du journaliste Christophe Conte, chroniqueur aux Inrocks, le 16 février. Commentant l’affaire Maelys, et la défense de celui qui a reconnu avoir tué la jeune ville « involontairement » il tweete « Décidément, sont maladroits tous ces enculés ».

Joël Deumier, président de SOS homophobie, intervient alors pour indiquer que Le mot «enculé» est une insulte à caractère homophobe; l’utiliser dans le langage courant comme vous le faites c’est banaliser l’homophobie. Et c’est regrettable. »

La réprimande, plutôt mesurée, ne plaît pas du tout au journaliste, qui rétorque alors: « J’attendais le premier débile pour la faire, il a tardé à arriver (est-ce que débile est un insulte handicapémentalophobe?)

Le président de SOS homophobie rappelle alors « à toutes fins utiles la persistance de l’homophobie dans la société française et ses conséquences concrètes: rejet, insultes, agressions, isolement des victimes et notamment des jeunes LGBT ».

Hugues Charbonneau, co-producteur de 120 battements par minute, s’en mêle.

Réponse laconique de Christophe Conte: « vous produisez de grands films mais vous êtes complètement con. Et ceci n’est pas une insulte vaginophobe. Allez bye. »

Le journaliste est malgré tout défendu par le journaliste Romain Burrel, qui écrit notamment aux Inrocks ou à Têtu. Il qualifie les critiques de « ridicules » et « contreproductives » et souligne que Christophe Conte a par ses billets ou articles combattu la Manif pour tous.

D’autres estiment qu’ »on se trompe de cible ».

Voilà pour le tableau.

Pourquoi l’usage du mot « enculé » est problématique

Dans une tribune sur Mediapart, Jérôme Martin, ancien président d’Act Up-Paris revient sur les échanges et explique en quoi l’usage du mot « enculé » dans ce contexte est problématique.

Le militant cite notamment le rapport de l’INPES intitulé « Les minorités face au risque suicidaire ».

« Les injures (comme « pédé », « tapette », « enculé », « gouine »…), fréquentes dans les cours de récréation et au sein des groupes de jeunes, sont considérées comme parmi les plus infamantes et les plus stigmatisantes. C’est dire combien les jeunes qui se découvrent homo-/bisexuels, ou ceux qui sont perçus comme tels, peuvent connaître la détresse tôt au cours de leur vie. », peut-on lire notamment dans ce rapport.

Jérôme Martin se montre donc sévère envers Christophe Conte:

« Christophe Conte ne « croit pas », que l’emploi banalisé d’une insulte homophobe entraine le rejet et l’isolement des homosexuelLEs. Des enquêtes sociologiques prouvent le contraire. Et de nombreux témoignages en attestent. (…) Mise en regard du document de l’INPES, l’expression « pinaillerie sémantique » relève d’une ignorance criminelle, bien confortable pour l’intéressé : « si ce que vous me dites n’est que pinaillerie, pourquoi irai-je me remettre en cause ? ». »

Jérôme Martin appuie ensuite sa démonstration en citant un article de la sociologue Gaëlle Krikorian, également ancienne militante à Act Up-Paris:

« Comme le rappelle Gaëlle Krikorian dans son article déjà cité, « Utiliser « enculé » comme insulte revient à déprécier ceux qui pratiquent le sexe anal. Dans les représentations hétéronormées courantes, celui ou celle qui se fait pénétrer est inférieur à celui qui pénètre. L’ « actif » domine le « passif ». Au propre et au figuré. Il domine les femmes et les pédés (…) Un enculé, donc, c’est un pédé. Une tapette, une pédale, quelqu’un qui suce et qui se fait mettre (du moins pour le sens commun, c’est la représentation classique qu’on s’en fait). Or tout cela porte la marque de la passivité, de l’infériorité. Raison pour laquelle on utilise ces termes comme insulte de choc. Ils doivent en effet servir à rabaisser ou à humilier une personne avec laquelle on se trouve en conflit. »

Pour cette raison, le recueil de dessins satiriques Les homophobes sont-ils des enculés? avait déjà fait débat en 2017.  Il était soutenu à l’époque par SOS homophobie (avant la présidence de Joël Deumier). L’association avait alors expliqué que « Si le livre illustre, énumère et décrit des insultes LGBTphobes, c’est pour mieux les pointer du doigt, mais en aucun cas pour les cautionner. »

Le débat sur l’emploi du mot « enculé » méritait donc mieux que la bordée d’injures à laquelle s’est livré Christophe Conte. Être un allié ne dispense pas de s’interroger parfois son vocabulaire.

Image via iStockphoto

Related Stories

Tournoi international de Paris 2022: les inscriptions sont ouvertes!
Etats-Unis: 5 morts et 18 blessés dans un club LGBT de Colorado Springs
Indignation après la tentative d'intimidation d'un rappeur homophobe au Centre LGBT de Paris
Livres: "Drag: l'autre visage des queens et des kings", par Sofian Aissaoui, pour aller au delà de "Drag Race"
Quantcast