L’histoire d’Andrew Cunanan doit être l’occasion pour la communauté LGBTQ d’une discussion sur la santé mentale
Andrew Cunanan et moi étions tous les deux des anges-gardiens.
Pas du genre avec des ailes dans le dos, mais des membres d’un programme de lutte contre le sida initié par la AIDS Foundation de San Diego et baptisé le Projet Anges-Gardiens. L’idée, c’était que des bénévoles gays se rendent dans des bars pour discuter de prévention avec les clients. Avec son charme et sa sociabilité, Andrew était parfait pour le rôle. Moi non, et je trouvais l’idée d’importuner des mecs qui ne demandaient qu’à boire un verre tranquillement à la fois paternaliste et intrusive.
Nous faisions donc partie d’un projet destiné à sauver des vies et c’est ironique de penser que Andrew a fini par en prendre tellement.
Le 17 janvier, la chaîne de télévision américaine FX a diffusé le premier épisode de la deuxième saison de American Crime Story, la série créée par Ryan Murphy. Intitulée The Assassination of Gianni Versace, elle retrace, avec l’aide d’une pléiade de stars, la tragédie criminelle d’Andrew Cunanan, sa longue descente vers le meurtre et la folie. C’est peut-être l’occasion pour nous tous de nous interroger sur la façon dont cette histoire a été racontée il y a vingt ans et de nous demander si les progrès accomplis depuis en matière de droits LGBT feraient qu’on la raconterait différemment aujourd’hui.
Darren Criss, Penelope Cruz, Edgar Ramirez et Ricky Martin à l’avant-première de American Crime Story : The Assassination Of Gianni Versace à Los Angeles (Photo : Jon Kopaloff / FilmMagic)
L’épopée meurtrière d’Andrew Cunanan à travers les États-Unis réunissait tous les éléments d’un thriller accrocheur : sexe, argent, pouvoir, secrets et meurtres. Les médias l’ont relatée comme un feuilleton morbide qui a atteint son paroxysme après le meurtre de Gianni Versace. Et il s’est achevé sur beaucoup de questions sans réponse quand Andrew s’est suicidé sur une péniche à moins de cinq kilomètres de l’endroit où il avait tué l’icône de la mode.
Les médias se sont rués sur tous les détails croustillants de la vie d’Andrew Cunanan : son passé de prostitué, ses goûts en matière de porno et ses histoires incroyables dont on se saura jamais si elles étaient vraies ou fausses. L’histoire de ce « gigolo gay de luxe » devenu un meurtrier a été racontée dans les journaux à une époque où des lois interdisant la sodomie étaient encore en vigueur aux États-Unis, où on ne pouvait pas servir dans l’armée américaine tout en étant ouvertement gay ou lesbienne et où la série Will & Grace n’avait pas encore vu le jour. Le sexe entre hommes était perçu comme quelque chose d’un peu minable et d’un peu déplaisant et faisait les choux gras des émissions de télé diffusées dans l’après-midi, comme celles de Jenny Jones et de Sally Jesse Raphael.
L’histoire d’Andrew Cunanan est celle d’un tueur, mais elle nous parle aussi de la maladie mentale dans une communauté qui place la beauté et la richesse avant toute autre chose. C’est sa maladie mentale qui l’a rendu violent, pas son homosexualité, son travail en tant que prostitué ou son intérêt pour le porno SM.
Andrew Cunanan avait une personnalité marquante. Il était intelligent et avenant et il avait un grand sourire ensorceleur. Il est difficile de faire la part de la sincérité et celle de la manipulation là-dedans, mais il savait indubitablement comment se servir de ses charmes.
En règle générale, les hommes gays peuvent être de très bons menteurs. C’est quelque chose qu’on apprend forcément lorsqu’on vit dans le placard. De toute évidence, Andrew Cunanan était un menteur patenté et c’est un talent très utile lorsqu’on est travailleur du sexe et qu’il s’agit bien souvent de vendre, non pas tant l’acte sexuel en lui-même, mais l’illusion de l’attirance, de la passion ou de l’amour.
Darren Criss interprète Andrew Cunanan.
La personnalité de Cunanan, sa plastique avantageuse et son métier de travailleur du sexe lui ont également permis de rencontrer des gens puissants et riches. L’accès à ces cercles influents dépend généralement du milieu social dans lequel vous êtes né et il peut apparaître particulièrement désirable aux yeux des hommes gays qui se sentent exclus et dépourvus de tout pouvoir, notamment les hommes gays racisés.
Sa soif (ou, du moins, ce que nous percevons comme tel) d’argent, de violence et d’un statut social plus élevé correspond parfaitement au cliché de l’homosexuel dépravé. C’est une histoire que nous avons vu s’étaler dans les gros titres des journaux pendant des décennies. Les hommes gays étaient dépeints comme des prédateurs sexuels, des déviants affligés de troubles mentaux. En réalité, la classification de l’homosexualité comme maladie mentale ne servait qu’à détourner l’attention des problèmes bien réels que rencontraient beaucoup d’hommes gays.
Il serait facile de ne voir dans la cavale sanglante d’Andrew Cunanan que la folie d’un individu isolé, mais ce serait sous-estimer le problème de santé mentale auquel notre communauté fait face actuellement. Bien sûr, de tels actes sont l’exception et non la règle. Les hommes gays qui ont des troubles mentaux ne sont pas des tueurs en série et s’ils peuvent parfois se montrer violents, c’est souvent envers eux-mêmes.
Il y a tellement d’hommes gays qui tentent de cacher leurs problèmes derrière des voitures coûteuses, des corps bodybuildés et des selfies postés à la chaîne sur Instagram. Pourtant, il leur faut se battre contre la maladie, souvent en silence, parce que notre image compte plus que tout et parce que nos abdos ont plus de valeur à nos yeux que notre santé mentale.
Ce regain d’intérêt pour l’histoire d’Andrew Cunanan et pour la mort de Gianni Versace est l’occasion d’avoir une vraie discussion au sujet de la santé mentale des hommes gays. Le sida a relégué au second plan toutes les autres questions de santé dans notre communauté alors que des gays se battent encore contre la dépression, le suicide et les addictions.
Nous devons faire de la santé mentale notre priorité et créer un espace dans lequel les gays pourront raconter ouvertement et honnêtement leurs expériences et trouver l’aide et le soutien dont ils ont besoin. Le bien-être mental de notre communauté peut être amélioré, mais cela demande toute notre attention et notre engagement.
La deuxième saison de la série American Crime Story, intitulée The Assassination of Gianni Versace, est diffusée depuis le 17 janvier et jusqu’au 21 mars sur la chaîne de télévision américaine FX.
Crédit photo : CBS Local Minnesota