Opinion: Mélenchon, les grévistes de la RATP et l’homophobie
S’il y a bien une chose aussi répandue que l’insulte homophobe, c’est la volonté d’en diminuer la portée: non, ce n’était pas homophobe, vous ne comprenez rien, il ne faut pas être dans la victimisation. Pour les homosexuels, c’est la double peine. Vous vous faites insulter, puis on vient vous donner la leçon si vous avez l’audace de vous en plaindre.
Dernier exemple en date avec l’affaire RATP/ »Suceur de bite ».
Hier trois salariés de la RATP étaient convoqués par leur direction pour un « entretien préalable à sanction ». On leur reproche d’avoir insulté un collègue non-gréviste, en chantant « J’aime pas les suceurs de bite » et en lui criant « Sale pédé », « enculé » le 10 décembre dernier devant le dépôt de bus RATP de Vitry (Val-de-Marne).
Ce n’est pas homophobe, c’est validé par la Sacem
Si l’on en croit le Parisien, leur défense a de quoi faire sourire. Dans les colonnes du quotidien, ils réfutent en effet toute homophobie. “On a juste répété les paroles d’une chanson validée par la Sacem, et d’un chanteur que Macron lui-même a emmené en Côte d’Ivoire. » Ils font référence au titre « La Fuite » de DJ Leska et Vegedream, où ce dernier répète effectivement à l’envi « j’aime pas les suceurs de bite ». La Sacem protège les oeuvres artistiques, celles de Barbara ou Abd Al Malik comme celles de Vegedream. Sauf erreur de notre part, les salariés n’étaient pas en représentation, donc ils auront du mal à plaider qu’il produisaient ou reproduisaient une oeuvre artistique, et ils n’étaient pas non plus en train d’écrire un article, donc le droit de citation ne tiendra pas la route non plus. Et que dire du « sale pédé », qui fusait ensuite? Etait-ce une citation d’une chanson de Nicolas Bacchus?
Tout cela n’est pas sérieux et montre surtout que les salariés n’ont pas vraiment compris ce qu’on leur reprochait.
Soutien de Mélenchon
Et ce ne sont pas les propos de Jean-Luc Mélenchon, venu les soutenir avec d’autres responsables politiques, qui vont les aider à comprendre.
Sur Twitter, le journaliste de RTL Arnaud Tousch a rapporté les propos du chef de la France Insoumise. Certains propos ont ensuite été rapportés dans un article, mais la version intégrale publiée sur Twitter est plus complète et plus intéressante.
Jean-Luc Mélenchon est venu soutenir les 3 conducteurs de bus convoqués aujourd’hui par la direction pour avoir, selon la direction, bloqué un conducteur non gréviste et avoir proféré des insultes homophobes. ⤵️
— Arnaud Tousch (@nanotousch) January 13, 2020
Pour Jean-Luc Mélenchon, cette affaire est utilisée pour « salir » ces salariés qui sont « le coeur du combat » et qu’ils sont « convoqués pour des raisons exclusivement politiques ». Il fait le parallèle avec les accusations de violences. Il accuse donc en creux la RATP d’utiliser cette affaire pour réprimer ses grévistes, et les journalistes d’utiliser du même procédé.
Le raisonnement n’est pas nouveau. Au moment des gilets jaunes, les manifestants avaient également reproché à certains de monter en épingle certains comportements homophobes pour discréditer le mouvement dans son entier.
« On n’est pas dans un salon de thé! »
Sur les propos eux-mêmes, la réponse de Jean-Luc Mélenchon est un peu étonnante: « Mais Monsieur on est pas dans un salon de thé ! On est dans la lutte c’est pas un gala quoi ! Vous voulez que je vous fasse la liste des injures que les français manient tous les jours ? ».
« Vous, là, par exemple quand vous ratez le clou avec votre marteau qu’est-ce que vous dites ? Les êtres humains ils sont comme ça et le niveau de la vanne dans ce pays tout le monde le sait ce que c’est. »
On a connu Jean-Luc Mélenchon plus fin. Il est quand même difficile de trouver plus homophobe comme insulte que « J’aime pas les suceurs de bite », « va te faire enculer » ou « sale pédé ». Mais le député insoumis semble nous dire que tout ça finalement, c’est juste du langage courant. Il n’a pas tort dans un sens: l’homophobie fait effectivement partie du langage courant.
« La gourmandise aussi c’est pas bien on finit par trop grossir. Ce n’est pas vrai, ils ne sont pas homophobes », insiste-t-il. On passera sur le côté condescendant de la première phrase. Concernant la deuxième: le sujet n’est pas de savoir si les salariés mis en cause sont homophobes ou non, mais si leurs propos le sont. Et ils le sont indubitablement.
A la fin de son interview, Jean-Luc Mélenchon semble amorcer début de critique, mais c’est pour mieux la rejeter ensuite: « Bien sûr qu’il faut faire attention à ce qu’on dit mais que celui qui ne s’est jamais trompé leur jette la première pierre. » C’est donc l’argument du « niveau de la vanne dans ce pays ».
Que le comportement des grévistes soit instrumentalisé pour déconsidérer le mouvement dans son ensemble est une critique légitime. Mais ce n’est pas parce que des propos sont instrumentalisés qu’ils n’en sont pas moins critiquables.
Au lieu de sortir de leur chapeau un argument « Sacem » risible, les salariés auraient pu commencer par s’excuser. C’est ce qu’on fait quand on a commis une erreur, et en faisant un effort on essaie d’apprendre à ne plus la reproduire. Monsieur Mélenchon, qui est habituellement un allié des luttes LGBT, aurait pu tout simplement condamner des propos qui sont évidemment homophobes. Ses critiques sur l’instrumentalisation des propos n’en auraient été que plus fortes.
Photo: Wikipedia